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Yolanda Castaño - Spain
Je suis passée tant de fois par ici… et jamais ne vous avais vus.
Nous élaborons un inventaire minutieux, comme l’herbier d’une constellation imprédictible. Il y a d’abord les lys, décors d’étoiles précipitées, les dahlias et les chrysanthèmes, il faut compter les coquelicots car elles le méritent aussi, les fleurs timides et menues. Celle du figuier est une fleur subliminale. Les plus livresques de toutes, les inflorescences en chapitre. L’orchidée est clairement une fleur sicaliptique, trop imitée, très peu pour moi. L’hibiscus emplit d’envies et proverbes la soirée. Hortensias : dites-moi comme j’étais heureuse ici. Il y a les iris, la lavande, celle qu’on appelle rose de thé. Et ensuite il y a la magnolia qui, comme son nom l’indique, jadis dut être l’emblème d’une certaine souveraineté mongole. Arums, anémones, l’aguerri symptôme du rhododendron. Ensuite viennent d’autres prodiges relevables en latitudes éloignées, comme l’indicible fleur du chilamate, qui se sent mais ne se voit, comme ce profond amour qui surgit comme un brame depuis les genoux. Il y a les lunes d’eau, roses chinoises, dents-de-lion. Nous avons également cosmos, soucis et pensées mais ce sont déjà des fleurs plus conceptuelles. La passiflore est comme le trône d’une réponse, le baldaquin d’une considération. Il y a des fleurs qui portent pour toujours le nom du premier œil qui les vit. Lilas, calendulas, capucines. Je ne peux oublier les mimosas, essaim de menus avertissements, ni mes infinies préférées : fracas indécent des bougainvillées.
Mais, je vous l’ai déjà dit, je ne sais, c’est curieux, je suis passée tant de fois par ici et… non, je ne vous avais jamais vus avant.
French translation by Frederic Bourgeois
Au début ce fut un trouble une abstinence nuisible petite nous étions pauvres je n’avais même pas ça rachitique pauvre de moi-même l’amertume en moins une parabole de complexes un syndrome un spectre (Désastreux tout autant de perdre que de regretter) Sombre récif qui brise mes colliers. Au début ce fut une branchie évasive qui n’allait pas me rendre heureuse au contact de son souffle je suis le visage le plus commun de la cour du collège une expression creuse qui ne sème rien de rien tu l’as ou tu ne l’as pas laisse couler habitue-toi avale corneilles couvrant nuages sentence d’un froid éternel une tempête patiente une privation privée (j’étais une élève de couvent elles finissent toutes anorexiques ou lesbiennes la lettre s’inculque avec le sang de nos coudes de nos cerveaux de nos consciences ou de nos chattes) j’ai fermé les yeux et désiré de toutes mes forces une fois et pour toutes devenir qui j’étais.
Mais la beauté corrompt. La beauté corrompt. Sombre récif qui use mes colliers. L’aube gagne et la gorge contient un présage. Ridicule petite chose! Tu étais obsédée par tout recouvrir de croix plutôt que de contenu. Ce fut une lente et vertigineuse éclosion de fleurs en hiver Les rivières se sont renversées en cascades roses papillons et escargots ont éclos sur mes cheveux le sourire de mes seins a redonné du fuel aux avions La beauté corrompt La beauté corrompt La raideur de mon estomac a escorté le printemps les conques débordent de mes mains menues mon plus beau compliment pince mon ventricule et je ne savais plus que faire de tant de lumière dans une telle obscurité.
Ils ont dit: «ton arme sera ta propre punition» ils m’ont jeté mes vertus à la figure ce club n’accepte pas les filles avec des lèvres peintes en rouge une sale marée une usure perverse qui n’a rien à voir avec mon mascara les souris montaient dans ma chambre souillaient le linge blanc litres de déchets goudronneux surveillance dissimulée litres de contrôle litres de diffamateurs kilos de soupçons soulevés avec à peine la tension de l’arc de mes sourcils tu devrais être ligotée affublée d’une apparence grise tes traits effacés à l’acide renoncer à être moi-même pour devenir écrivain? ils ont diabolisé le gentil et l’allongé dans mon cou la naissance de mes cheveux en bas de ma nuque ce club n’accepte pas les filles si bien foutues Nous nous méfions de l’été La beauté corrompt. Demande-toi bien si tout ceci vaut le coup.
French translation by Samira Negrouche
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HIGHWAY TO HEAVEN
I.
Sur l’autoroute demeurent des marques de courbes impossibles, lignes vacillantes qui terminent droit dans la médiane.
Comment finirait ma beauté d’épi brisée et sanglante contre le verre du pare-brise, et quel serait l’état exact de mes seins qui ne tomberaient jamais plus ?
II.
Capsule de seulement.
Entre ceci et rien un minuscule mouvement. Une négligence, une bête fissure du hasard et le poids rougi de mes os contre le caniveau.
Un papillon de froid traverse le chemin, mes yeux se prennent à son saut et j’ai de la chance.
Une deux, une deux, une deux.
III.
Si en cet instant précis croisait ma route la plus infime mésaventure et que ma jeune fortune s’échappait par les airs, personne ne verrait rien de douteux ou suspect à la rutilante beauté de mon cadavre sur le bas-côté.
IV.
L’autoroute de nuit ressemble à un jeu vidéo. La noirceur la plus opaque ne m’effraie pas.
Comme une intermittence, ma jeunesse une ligne de cocaïne qui parfois se tord.
Derrière mon orbite s’excitent les volants.
Et j’accélère si vite comme ce vers que la vie quitte.
[Depth of Field] (2007, bilingual ed. 2009) English translation by Jonathan Dunne Chinese translation by Ming Di French translation by Frederic Bourgeois
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Le monde est un hôtel sans comptoir de réception. Le don de l’éloquence n’est pas un bien communautaire.
Ni les pains ni les poissons ainsi ne furent répartis. A tribord la viande et à bâbord les arêtes.
Vous allez perdre la tête et il vous pleut des chapeaux, les riches auront de l’argent les pauvres auront des enfants.
Moi je connais un pain que je partagerais en morceaux qui seraient minuscules et suffiraient pour les restes, si jamais une miette pouvait remplir une bouche, si elle pouvait la rassasier, peut-être la libérer.
Comme des bouées de sauvetage à la gloire du Titanic, des pineraies de peignes pour qui est chauve.
Urbi et orbi de la rhétorique : ni ici ni attendue. On coud des barbes pour ceux sans mâchoire.
Quelques bouches furent touchées par trois secondes de mémoire. Et Dieu donnera ce pain à bien plus édenté.
French translation by Frederic Bourgeois
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Moi, qui ai remonté en voiture les rives de la Neretva, qui ai raclé à vélo les rues humides de Copenhague. Moi qui ai mesuré avec mes propres bras les crevasses de Sarajevo, qui ai traversé, sur le siège passager, la frontière slovène et survolé en biplan la Ria de Betanzos. Moi qui ai pris la route sur un ferry qui ai accosté sur les côtes d’Irlande, et sur l’île Ometepe dans le lac Cocibolca; moi qui n’oublierai jamais cette boutique de Budapest, ni les champs de coton de la province de Tesalia, ni cette nuit à 17 ans dans un hôtel de Nice. Ma mémoire trempe ses pieds sur la plage de Jurmala en Lettonie et sur la 6ème avenue elle se sent à la maison.
Moi, qui aurait pu mourir cette fois-là dans un taxi de Lima, qui ai parcouru le jaune de ces champs brillants à Pakruojis et traversé cette même rue que Margaret Mitchell à Atlanta. Mes pieds ont marché sur les sables roses d’Elafonisi, ils ont pris un croisement à Brooklyn, le pont Charles, la rue Lavalle. Moi qui ai traversé le désert pour aller à Essaouira, qui ai glissé sur une tyrolienne depuis les hauteurs du Mombacho, qui n’oublierai pas la nuit où j’ai dormi à même la rue à Amsterdam, ni le monastère de Ostrog ni les pierres de Meteora. Moi qui ai prononcé un nom au milieu d’une place à Gante, qui ai traversé un jour le Bosphore habillée de promesses qui n’a plus jamais été la même après cet après-midi à Auschwitz. Moi, qui ai conduit vers l’Est jusque près de Podgorica, qui ai couvert en motoneige le glacier Vatnajökull, Moi qui ne me suis jamais sentie aussi seule que dans la rue Saint-Denis, qui ne goûtera plus jamais pareil raisin qu’à Corinto. Moi, qui ai un jour cueilli des pommes du jardin de Tolstoï, je veux rentrer à la maison: le refuge que j’aime le plus à La Corogne
juste en toi.
French translation by Samira Negrouche
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MÉTROPHOBIE
Au fond du paysage, la pluie estompe les nuages comme tache d’encre. Cette feuille de route milite en chanson de gestes.
J’ai déjà envie de partir et ma voiture est un soldat. N’entends-tu pas siffler son sensible chargement ? Les routes régionales ressemblent à des cahiers à rayures. J’aimerais sillonner les monts avec un poème à charge comme les voyageurs. Ma voiture est une balle argentée de rythme et non de poudre, et je lui dis : « Allons-y ! ». Ensemble, nous traversons vallées, quartiers de fonctionnaires, les grands champs éoliens me donnent envie de lutter contre des géants. Ma voiture et moi nous nous comprenons sans rien dire.
Fleurs blanches de l’ibuprofène, ma voiture est un soldat et moi je lui dis : « Allons réciter des poèmes à Monfort de Lemos ! », et elle rythme son moteur sur mon registre, réplique, cliquette, malgré sa métrophobie.
French translation by Frederic Bourgeois
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Yolanda Castaño (Santiago de Compostela, Spain, 1977).
BA in Spanish Language and Literature and with Media Studies, apart from being a poet, editor and an very active culture manager, Yolanda Castaño has been a columnist and has worked in Galician TV during many years (Galician Audiovisual Academy Award as ‘Best TV Communicator 2005’). She has published 6 poetry books in Galician and Spanish (“Depth of Field”and “The second tongue” are her last titles), several chapbooks and a pair of compilations. She has won poetry awards amongst which the National Critics Award, the Espiral Maior Poetry Award, the Fundación Novacaixagalicia, the Ojo Crítico (best poetry book by a young author in Spain) and the Author of the Year Galician Booksellers’ Award stand out. She is a relevant cultural activist, regularly organizing monthly poetry reading series, festivals, literary and translation workshops, all of them hosting local to international poets (Galician Critics’ Award Best Cultural Manifestation 2014). She was the General Secretary of the Galician Language Writers Association and she has made her contribution to many written media, books, anthologies, conferences and many readings or multimedia poetry performances inside and outside Galicia, including many international poetry festivals and meetings, mostly around all Europe and America but also in Tunisia, China and Japan. She has coordinated collective books, art and poetry exhibitions, she has published works as an editor, as well as five poetry books for children and four of translations (from contemporary authors like Nikola Madzirov or Marko Pogačar, among others, into Spanish and Galician). She has been involved in many different experiences of blending poetry with music, performance, dance, architecture, visual and audiovisual arts, and even cookery, being awarded for that too. Some of her poems have been published translated into twenty languages. She held three international fellowships as a writer-in-residence, at the IWTCR in Rhodes (Greece) and in Villa Waldberta (Munich - Germany) in 2011, and at the HIP-Beijing (China) in 2014.
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